Je reprends la publication mensuelle des interventions faites dans le cadre du Groupe biblique de l'ERF de Fontainebleau, sous la direction d'Odile Roman-Lombard, pasteure. Le thème de cette année : Des Femmes de la Bible, nous commençons par
EVE
Le texte de la Genèse ch.2 v. 18-25 et ch. 3 1-23, met en scène une femme, dont le nom Eve= la Vivante n'est donné qu'au v.20 du ch.3, sa création, sa relation avec Adam, celle avec le serpent (disons la Tentation), la consommation d'un fruit défendu, son expulsion du jardin d'Eden et les conditions de sa vie ultérieure. La naissance des enfants, Caïn, puis Abel et enfin Seth n'est dite qu'au ch. 4 , v. 2 puis 25.
La peinture a énormément représenté Adam et Eve, surtout la scène dite de la "chute" ou du "péché originel", termes qui ne sont pas du tout bibliques, mais datent de la pensée de St Augustin au Vème s. Ces notions et leurs représentations sont un donné majeur de notre culture, qui a vite assimilée "la faute originelle" au sexe.
Nous allons partir de cette donnée et montrer que les peintres créent des images où la psychologie d'Eve, est assez variée.
QUEL RELATION ENTRE EVE ET ADAM ?
Oeuvre de Hendrik GOLTZIUS 1558-1617, graveur et peintre protestant de Haarlem. Ce tableau "La chute de l'homme" date de 1617, donc juste avant sa mort, il est conservé à la National Gallery de Washington.
C'est une scène de séduction amoureuse : échanges des regards, qui reprennent le verset 18 de la Genèse"Je vais lui faire un vis à vis "dit Dieu
de séduction sexuelle : caresse, pose couchée (la même que le peintre utilise pour les filles de Loth)
Eve s'offre et offre une pomme qui devient le centre du tableau :
la forme des corps, en partant des pieds pour aller aux têtes, est celle d'une corne d'abondance, signe de plaisir et de fécondité, la pomme est au sommet.
la pomme est à la base du triangle contruit avec l'échange des regards, un enjeu
le tronc de l'arbre, la pomme, le bras d'Eve forment une verticale qui arrive au sexe d'Adam, façon de désigner l'objet de la convoitise.
Ainsi Eve est active, elle prend les initiatives pour réaliser son désir, alors qu'Adam est assez passif, cela renvoie au titre de l'oeuvre : chute de l'homme, "man" en hollandais, au sens de mâle. C'est bien Eve la séductrice qui va entraîner le pauvre homme-mâle vers sa perte.
Les autres éléments vont dans le même sens : la pomme (la bible parle du fruit) est un symbole sexuel féminin, le serpent a une tête de femme car la femme est séduite par son double, quant à la plante qui cache le sexe d'Adam, on peut y reconnaître du lierre terrestre, c'est une plante proche des menthes, qui relève le goût , utilisé pour la bière avant le houblon. On peut aussi rapprocher cette plante du vrai lierre, qui est associé à Dionysos.
Quant aux animaux: le chat n'est pas le diable, il n'est pas noir, mais plutôt une image féminine, un animal ambiguë doux et sentimental, sournois et hypocrite, il semble attendre la fin de l'action; de même pour le couple chèvre-bouc qui regarde Adam et Eve. Une fois l'acte consommé, ils pourront eux aussi... la conséquence du péché humain ayant traditionnellement des conséquences pour toute la nature.
Donc une vision traditionnelle de la relation entre Eve et Adam, relation qui n'a d'ailleurs rien à voir avec le texte du mythe biblique.
Mais il existe d'autres types de relation :
Ici Dûrer 1471-1528 met Adam et Eve à égalité, ils sont symétriques, représentés de la même façon et tous deux ont une pomme, ce qui est assez rare. Eve discute avec son époux, la relation est tout autre.
Domenico Zampieri dit le Dominiquin 1581-1641, représente le v. 12 où Eve est accusée par Adam, rejetée, elle ne trouve comme défense que de faire reporter la faute sur le serpent.
Ce peintre inconnu de la fin du 1-ème s. représente une jolie scène familiale, où Eve, la mère bien occupée, semble se plaindre auprès d'Adam , fatigué par une dure journée de travail à la houe. Relation cocasse et réaliste
Retour à la scène de tentation, par l'Anglais Burne Jones (1833-1898) à gauche et par l'Allemand von Stuck (1863-1928)
Différence entre la solidarité et l'action maléfique ?
EVE SEDUITE
pour William Blake 1757-1827 par le serpent -démon qui la force, elle est victime
pour Gustave Moreau (1826-1898) par la beauté environnante et la voix intérieure qui lui parle, la séductrice est séduite
EVE CHASSEE de L'EDEN
Une femme résignée pour Francesco Curradi 1570-1661
Une femme suppliante pour Eugène Delacroix
Une femme désepérée
pour Frederic Watts (1817-1904)
Une femme récriminante , une sorcière
pour Michel Ange
ET DIEU CREA LA FEMME
Cette représentation suit 4 modèles:
A partir d'une côte, pour cette miniature de Maître Bertram d'Hambourg au 14ème s.
c'est assez rare de la voir si réaliste, à noter aussi que ni Eve ni Adam n'ont de nombril, ce qui marque bien que ce sont des êtres créés et non nés
Sur cette fresque du 12ème à Salles-Lavauguyon en Limousin
Eve est créée non à partir d'une côte, mais à partir d'un côté d'Adam, sens que l'on donne aujourd'hui volontiers au mot hébreu qui a les 2 sens. Donc une interprétation ancienne, qui renvoie à une compréhension d'adam (= le terreux, le glaiseux) comme hermaphrodite, avant qu'il ne dedevienne ish et isha (homme et femme)
Dans la chapelle palatine de Palerme, cette mosaîque du 11ème s. montre Eve qui se lève d'Adam, cette représentation est sans doute la plus répandue
Enfin dans la cathédrale d'Orvieto, on trouve une dernière représentation, Eve se dresse derrière Adam endormi, elle est créé à partir d'Adam mais semble plus indépendante.
Personnellement c'est la 2de représentation que je trouve la plus éclairante et la moins mysogine.
Terminons par une Eve douloureuse, la mère qui découvre le cadavre d'Abel tué par son frère, selon W.Blake