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CONTEXTE
Noli me tangere ce titre qui signifie Ne me touche pas est la traduction de la Vulgate du verset de l'évangile selon Jean au chapitre 20. Aujourd(hui certaines bibles traduisent le verset par Ne me retiens pas voir le texte à la fin de la page
Une remarque préalable, cet évangile met en scène Marie de Magdala qui est aussi désignée en Luc, lorsque Jésus la guérit de 7 démons, mais au cours des siècles elle est devenue Marie Madeleine qui réunit sous son nom au moins trois ou quatre femmes des évangiles : Marie de Magdala, Marie de Béthanie, Marie sœur de Lazare et de Marthe, et la pécheresse de Simon. Cette synthèse est due au pape Grégoire le Grand et n'a été remise en question qu'au XVI ème s. mais est restée très populaire jusqu'à nos jours. Pour les peintres Marie Madeleine est donc au moment de cette scène, une personne qui a été possédée par des démons, une pécheresse qui a touché Jésus et embrassé ses pieds, une contemplative opposée à sa sœur Marthe, mais elle porte aussi en elle toutes les légendes postérieures qui feront d'elle la grande repentie des Baux de Provence. Elle est l'ancienne pécheresse et la future pénitente, et la dimension amoureuse de la relation est au centre du thème iconographique.
Trois types de relation peuvent être mises en évidence
Ce tableau de Fra Bartolomeo (1472-1517) de petites dimensions : 48 cm x 57 cm est au Musée du Louvre (Achat pour Louis XII en 1506)
Le contexte utilise les éléments traditionnels de la résurrection : vase d'onguent, tombeau, anges, bannière, auréoles, plaies du Christ, instrument du jardinier. En arrière plan le peintre représente la résurrection avec sortie du tombeau et soldats renversés selon Mt 28, 3 et 4
Marie Madeleine jette ses bras vers Christ, il la maintient à distance et cela fait obstacle à tout sentiment d'intimité.
Les jeux de mains sont remarquables : approche et désignation de l’autre, prière et bénédiction...
Jésus touche le front de Marie Madeleine, ceci en relation avec la légende des reliques de St Maximin (en 1279 on trouve sur le crâne de cette récente relique, un reste de chair que le Christ aurait touché, et qui serait resté comme un point de vie ).
L'axe vertical avec vase de parfums et jeu de mains, est un rappel de la mort qui a séparé, et de la nouvelle relation.
L'horizontale des verts crée un lien de vie entre les 2 personnages, tandis que la diagonale des rouges rappelle la passion au deux sens du terme.
La composition en plaçant la Madeleine à gauche crée une diagonale positive d'ascension, qui donne l'initiative à la femme.
On peut qualifier cette relation de vénération de Jésus
Le tableau de Hans Holbein le jeune (1498-1543) qui est à Hampton Court à Londres est aussi un tableau de dévotion 76cm x 95
Le contexte est plus fidèle au texte de Jean : tombeau illuminé avec 2 anges, Pierre et Jean repartant vers Jérusalem, au loin les croix du Golgotha. L'ensemble est sombre, seul le tombeau est lumière.
Jésus porte une robe de moine qui s'oppose aux riches parures de Marie Madeleine, coiffure luxueuse, vase précieux comme pour des parfums, est ce un rappel de la pécheresse ?
La relation est lue de façon contradictoire. Certains voient une Marie Madeleine qui s'écarte, et un Jésus qui veut s'en approcher. D'autres voient Jésus tenant Marie Madeleine à distance en la repoussant par le geste et le regard ; la séductrice réapparait car la force et la difficulté de la conversion sont suggérées par le rappel de la tentatrice.
Est on en présence d'une scène de tentation ? La relation est de toute façon surprise et méfiance
Avec cette fresque de Giotto (1266-1337) peinte en 1320 dans l'église inférieure Saint François, chapelle sainte Madeleine à Assise, nous sommes dans un autre univers.
Le Christ, les anges, les rochers... la mandorle, les rayons solaires, tout est repris de la tradition orientale, mais le peintre fait de Marie Madeleine une femme en deuil, toute tendue, voire déséquilibrée vers son Seigneur qui s 'écarte sans la regarder. La relation est vraie adoration du Christ reconnu comme Dieu.
A part la fresque de Giotto qui reprend la représentation orientale du divin, on peut être surpris de voir le Christ ressuscité en moine ou en belle longue robe. Comment le représenter, comment peindre le vivant absolu ? Jusqu’à la fin du Moyen Âge, les artistes optent pour des attributs symboliques : une croix ou un étendard , le nimbe, le linceul blanc...
mais à l'époque moderne, ils préfèrent le corps nu comme sur le crucifix, mais alors comment passer de la mort douloureuse à la vie triomphante ? Ils recherchent la beauté de Dieu, soit en sublimant les traces de la mort, les stigmates qui donnent une beauté spéciale, soit en supprimant ces traces ce qui donne une beauté divine au corps. Mais la nudité du Ressuscité dans le contexte de sa rencontre avec Marie Madeleine n'est pas sans charge érotique. Les exemples qui suivent le montrent
Nous avons vu que le fait de placer Marie Madeleine à gauche, lui donne l'initiative. Nous allons maintenant voir Jésus la prendre.
Albrecht Dürer (1471-1528) Le Christ en jardinier, gravure de la série
La Petite Passion sur bois, 1509-1511 Les bois sont visibles au British Museum de Londres .
Tous les éléments du contexte sont présents dans le lointain, le Christ ressuscité est nu avec ses stigmates mais les signes du jardinier sont très marqués.
Jésus est à gauche à contre jour, il est entre le soleil, symbole de Dieu et Marie Madeleine, superbe diagonale descendante de Dieu vers elle et aussi vers nous puisque nous sommes derrière elle. Le Christ est le médiateur et le spectateur est appelé à le reconnaître comme Marie Madeleine le fait.
Le Titien (1490-1576) huile de 109cm x91 daté de 1512 à la National Gallery de Londres
Tout est mouvement
Marie Madeleine se jette aux pieds du Christ, mouvement accompagné par son long manteau
Christ est dans un plan perpendiculaire, il vient vers nous mais il se détourne pour se pencher vers elle, tout en relevant son suaire,
Le paysage accompagne les mouvements : à droite une masse descendante jusqu'au Christ qui la prolonge, puis il s'oriente vers droite.
Mise en valeur de la beauté désirable d'un corps, dont plaies ont presque disparu
L'image visualise une relation affective, mais avec une nette érotisation. Marie Madeleine voit le buste et le visage du Christ, nous son corps et nous sommes dans l'instant de la reconnaissance et de l'interdit de toucher.
La dimension religieuse subsiste mais l'iconographie classique est réduite à la bêche, il n'y a plus ni tombeau, ni bannière... le sujet commence à être traité comme une pastorale.
Bronzino 1503-15721 291 x 195 cm peint en 1560 pour la chapelle de Santo Spirito de Florence
Le Christ est nu sans blessure tel un athlète, il se contorsionne dans une sorte de danse élégante, est ce pour inviter Marie Madeleine à la joie de la résurrection ou pour lui échapper ?
A noter que Marie Madeleine est d'une grande sagesse : la diagonale des regards s'oppose à sagesse de ses bras (en orante), le rouge est caché, les cheveux peu visibles
La représentation nécessite un contexte narratif = tombeau et 2 autres femmes (selon Marc)
Retour à la vénération de Fra Bartolomeo et au mouvement vers le haut de Durer dans ce Correge 1489-1534 huile de 1489 au Prado
Le Christ estbeau et nu, sans plaie ni souffrance
Marie Madeleine en riches vêtements et en cheveux, c'est l'amante
On retrouve des éléments traditionnels : bêche, chapeau, décor opposant arbre mort et vivant
Jésus montre le ciel à Madeleine qui est à genoux
Diagonale du désir qui va de Marie Madeleine au Christ, est orientée vers Dieu, la frustration de Marie Madeleine s'exprime par le geste des bras en arrière, donc inversion du geste traditionnel. Les regards rapprochent , les gestes éloignent
Texte traduction Segond
20.11 Cependant Marie se tenait dehors près du sépulcre, et pleurait. Comme elle pleurait, elle se baissa pour regarder dans le sépulcre;
- 20.12
- et elle vit deux anges vêtus de blanc, assis à la place où avait été couché le corps de Jésus, l'un à la tête, l'autre aux pieds.
- 20.13
- Ils lui dirent: Femme, pourquoi pleures-tu? Elle leur répondit: Parce qu'ils ont enlevé mon Seigneur, et je ne sais où ils l'ont mis.
- 20.14
- En disant cela, elle se retourna, et elle vit Jésus debout; mais elle ne savait pas que c'était Jésus.
- 20.15
- Jésus lui dit: Femme, pourquoi pleures-tu? Qui cherches-tu? Elle, pensant que c'était le jardinier, lui dit: Seigneur, si c'est toi qui l'as emporté, dis-moi où tu l'as mis, et je le prendrai.
- 20.16
- Jésus lui dit: Marie! Elle se retourna, et lui dit en hébreu: Rabbouni! c'est-à-dire, Maître!
- 20.17
- Jésus lui dit: Ne me touche pas; car je ne suis pas encore monté vers mon Père. Mais va trouver mes frères, et dis-leur que je monte vers mon Père et votre Père, vers mon Dieu et votre Dieu.
- 20.18
- Marie de Magdala alla annoncer aux disciples qu'elle avait vu le Seigneur,et qu'il lui avait dit ces choses.