Je publie ici des éléments dont je me suis servi lors d'une séance du groupe biblique de l'ERF de Fontainebleau, animé par Odile ROMAN-LOMBARD, pasteure. D'autres pages seront publiées à l'occasion des prochaines rencontres.
SACRIFICE D'ABRAHAM OU SACRIFICE D'ISAAC ?
QUELLES APPROCHES DU SACRIFICE PEUT ON FAIRE A PARTIR DE QUELQUES OEUVRES PICTURALES
REMBRANDT (1635) Musée de l' Hermitage, St. Petersbourg
L'ange de Dieu fait irruption au dernier moment et il sauve une victime passive et innocente.
L'œuvre rend assez bien compte du texte, seul le bélier est absent, mais non seulement l'Ange parle (main levée) mais surtout il agit. Abraham est brutalement arrêté dans son geste de sacrificateur.
Isaac est violemment éclairé, il est placé sur une diagonale montante, positive, alors que celle d'Abraham est négative, vers le bas et qu'il est dans l'ombre. Il a caché la tête de son fils, pour ne pas le voir, il a peur de son regard, et c'est le regard de Dieu qu'il rencontre.
C’est un dévoilement : la victime est innocente, elle est reconnue par Dieu et sauvée par Lui seul. Le spectateur reste extérieur, nous assistons à une sorte de jugement .
LE CARAVAGE 1603 Galerie des Offices, Florence
Cette peinture est antérieure à celle de Rembrandt qui s'en est inspiré, mais il me semble que la place d'Isaac dans le sacrifice est encore plus importante.
Un instantané comme le précédent mais surtout un cri dramatique dans un paysage calme. Un mouvement suspendu, marqué par le triangle fermé des 3 visages. Deux diagonales descendantes convergent vers Isaac, il n'a pas d'avenir, mais le doigt de Dieu peut faire sortir de ce triangle de mort, il montre une sortie possible.
Tout est dans la liberté d'Abraham, il peut poursuivre son geste ou l'arrêter. il semble réfléchir.
Dieu n'intervient pas du haut du ciel, il intervient au niveau de l'humain, il est si proche de la victime innocente qu'il lui ressemble (le peintre a pris le même modèle). Il se reconnaît en elle et invite l'homme à le sauver.
Quant au spectateur il est directement impliqué: Isaac le regarde et l'appelle au secours, nous sommes appelés à agir.
La portée christique est évidente, reconnaître Dieu en son fils innocent. Et en cela cette oeuvre poursuit une tradition. Jésus est la victime qui marche vers la mort suivant la volonté de son Père,comme Iaac il porte le bois du sacrifice.
XIVème Rouen - BM - ms. 3028 1520
XIIIème Dijon - BM - ms. 0562
La vision traditionnelle est christique :
la scène se lit comme une BD mais du bas à gauche vers le haut à gauche.
C'est bien le sacrifice d'Abraham, un couteau à la main, indique à son fils la direction à prendre. L'enfant chemine devant lui en portant le fago. Abraham, en vêtement couleur de deuil, s'apprête à sacrifier Isaac
Mais Isaac est trop grand par rapport à l'autel (il n'est pas la bonne victime). L'animal désigné est une préfiguration christique : l'absence de cornes, le fait que l'animal se détourne de son bourreau dans un geste caractéristique de la fuite (il souhaite éviter le supplice, comme le Christ à Gethsémani)
Chaque étape de la Passion de Jésus trouve sa préfigure dans le sacrifice d'Abraham.
XVème Rouen - BM - ms. 1139 XV
Deux siècles plus tard, que de changements. L'innocence est mise en avant, l'ange arrête l'épée comme les mères essaient d'arrêter celles des soldats dans le massacre des Innocents.
Le Père est brutal, il ignore l'agneau qui est devant lui et qu'il pourrait sacrifier.
Isaac est une victime consentante, il n'est pas attaché, il prie... il devient une figure christique par sa soumission, sa piété filiale, alors qu'Abraham semble condamné pour infanticide.
C'est déjà le sacrifice d'Isaac.
voir Le sacrifice d'Abraham dans quelques représentations de la fin du Moyen Age par Christiane Raynaud, Journal of medieval history, vol. 21, September 1995, Pages 249-273
On pourrait dire que Le Caravage est un aboutissement et qu'il apporte une nouvelle vision christique: Isaac n'est pas seulement la préfiguration du Christ mais de toute victime qui rejoint le Christ. C'est la fin d'une vision sacrificielle, tout est meurtre et tout meurtre est arrêté par Dieu. Mais le dire ainsi est sans doute trop moderne.
Chagall reprend une mise en scène classique mais les victimes sont de tous les temps, Isaac, Jésus, les victimes des pogrroms...
http://www.musee-chagall.fr/
Quant à cette vision d'Alan Falk (peintre anglais né en 1945, travaillant aux EU), elle montre que le dilemme d'Abraham est aussi ou d'abord celui de notre conscience.
http://www.alanfalk.com/
The Binding Of Isaac (The Akedah)' 2002