A propos de la dernière note sur Nativité Jésus ou Jean Baptiste ? voici ce que m’écrit Marie-France MOREL, historienne de la petite enfance, qui vient de publier aux Editions La Martinière, Une histoire de l'allaitement, un ouvrage passionnant avec une superbe iconographie magnifiquement commentée.
« Il s’agit bien d’une Nativité du Christ, qui fait partie d’un quadriptyque comportant l'Annonciation, la Nativité, la Crucifixion et la Résurrection. Son origine est complexe, son attribution incertaine (voir note)
Deux détails sont particulièrement originaux dans cette scène de la Nativité :
1) L'attitude de Joseph qui ne lit pas mais tient son bas Cette attitude est difficile à interpréter. Il a un pied nu, posé bien en évidence devant une de ses chaussures délacée. Il tient dans ses mains un de ses bas : j'ai longtemps cru qu'il le reprisait. Mais, selon Joaneath Spicer, il est en train de découper son bas pour confectionner des langes à l'Enfant Jésus. Cette interprétation est renforcée par le fait que, dans la région d'où le peintre anonyme serait originaire, à Cologne, on vénérait une relique des langes de l'Enfant Jésus.
Cette iconographie est tout à fait singulière, mais elle fait partie de celles qui mettent en scène un Joseph actif. Cf. le livre récent de Paul Payan, Joseph, un autre père (Aubier, 2006) qui distingue 3 types de représentations de Joseph :
+ Joseph "ridicule" (ou en retrait) : en fait, il est songeur, il pense à l'Incarnation. C'est un intermédiaire entre le spectateur et la scène sacrée.
+ Joseph à genoux qui adore l'Enfant avec la Vierge.
+ Joseph actif : il fait du feu, ou il souffle sur les braises, ou il prépare la bouillie de l'Enfant, ou bien il réchauffe les langes devant le feu ; c'est le père nourricier, qui peut parfois s'identifier à un pèlerin (lors de la fuite en Egypte), avec un bâton et parfois, comme ici, une gourde sur la petite table.
Une autre représentation de Joseph actif se trouve dans une très belle Nativité allemande de Konrad von Soest, datée du XVe siècle, dans l'église paroissiale de Niederwildungen (Hesse).
Et sur cette miniature (d'un Livre d'Heures à l'usage de Troyes,début du XVème s. publiée dans l'ouvrage sur Une histoire de l'allaitement) Joseph prépare la bouillie de Jésus
2) Un autre détail original de cette scène de la Nativité est constitué par la femme au tablier, car elle porte une auréole. Selon Teresa Pérez-Higuera, La Nativité dans l'art médiéval, Citadelles & Mazenod, 1996, p.118, il s'agit d'Eve, en illustration d'un passage de l'"Evangile arménien de l'Enfance. ».
Selon cet apocryphe, Joseph sentant que Marie allait bientôt accoucher, part chercher une sage-femme. Il rencontre une femme "qui venait de la montagne" qui veut bien l'accompagner. En chemin, il lui demande son nom ; elle lui répond :
"Je suis Eve, la première mère de tous ceux qui sont nés et je suis venue voir de mes propres yeux ma rédemption qui vient de se réaliser. (…) Et notre première mère entra dans la grotte, prit l'enfant dans ses bras, et le caressa avec tendresse. Et elle bénissait Dieu parce que l'Enfant avait un visage resplendissant, aux traits ouverts et beaux. Et l'enveloppant dans ses langes, elle le déposa dans la mangeoire des bœufs, puis sortit de la grotte."
(Note) Cette Nativité du Christ fait partie d'un Quadriptyque, peint à la cour de Bourgogne aux alentours de 1400, pour le duc Philippe le Hardi ; ce retable de petites dimensions (38 x 26 cm environ, pour chaque panneau) et pliable en accordéon, aurait servi de support aux dévotions privées du duc lorsqu'il était en voyage. Le thème des six panneaux (répartis aujourd'hui entre le musée d'Anvers et celui de Baltimore) est une affirmation de la divinité du Christ incarné, d'où il découle que sa promesse de salut se réalisera. Les quatre panneaux centraux évoquent l'Annonciation, la Nativité, la Crucifixion et la Résurrection ; deux volets extérieurs montrent la divinité du Christ révélée à Jean Baptiste lors du Baptême, et saint Christophe, patron des voyageurs. En 2004, l'ensemble des six panneaux a été réuni exceptionnellement dans le cadre de l'exposition du musée des Beaux-Arts de Dijon, "L'art à la cour de Bourgogne. Le mécénat de Philippe le Hardi et de Jean sans Peur (1364-1419)" (28 mai-15 septembre 2004). Le catalogue de cette exposition, publié par la Réunion des Musées Nationaux, réfute absolument l'hypothèse de l'attribution de ce chef d'œuvre à Melchior Broederlam, qui a travaillé aussi à Dijon pour le duc Philippe le Hardi. Pour le conservateur du Walters Art Museum de Baltimore, Joaneath Spicer, qui a rédigé la notice sur ce quadriptyque (p. 206-207), il faut reprendre les déductions de Panofsky qui attribue cette œuvre à un artiste anonyme de la région du Rhin inférieur ou du Rhin moyen ; cette attribution est renforcée par l'étude des nombreux détails familiers qui parsèment les scènes, et par les proportions des personnages. L'attribution à Melchior Broederlam est en revanche soutenue, sans arguments convaincants, par le Centre for the Study of XVth Century Painting in the Southern Netherlands and the Principalty of Liège (xv.kikirpa.be)