La dernière cène de Jésus et de ses apôtres est un récit qui se trouve dans les évangiles selon Marc (14) Matthieu (26) Luc (22) et dans la 1ere lettre aux Corinthiens (11) de Paul. Mais c’est du texte de Jean que Léonard de Vinci s’inspire, ce texte ne parle pas de la prière sur le pain et le vin mais seulement de la trahison qui se prépare :
Ayant ainsi parlé, Jésus fut troublé intérieurement et il déclara solennellement : « En vérité, en vérité, je vous le dis, l’un d’entre vous va me livrer. » Les disciples se regardaient les uns les autres, se demandant de qui il parlait. Un des disciples, celui-là même que Jésus aimait, se trouvait à côté de lui. Simon-Pierre lui fit signe : « Demande de qui il parle. » Se penchant alors vers la poitrine de Jésus, le disciple lui dit : « Seigneur, qui est-ce ? » Jn 13; 21_25
Léonard de Vinci 1452- 1519) a 30 ans il vient à Milan et il reçoit de Ludovic le More, la commande de la Cène pour le réfectoire du couvent de Santa Maria delle Grazie, « cenacolo » désignant en italien à la fois le réfectoire des moines, la salle du jeudi saint et la représentation plastique du dernier repas de Jésus.
Léonard ne peint pas à la fresque cette œuvre de 460 x 880 cm, mais à tempera avec quelques glacis d'huile et sur une mur Nord très humide, d’où dégradations et restaurations, la dernière datant de 1978-1999.
COMPOSITION
Le Christ est au centre de la composition de Léonard, vers lui tout converge, de lui tout part. lors de ce repas sa parole est à l'origine du mouvement qui meut les apôtres, Mais le Christ est aussi le Logos, par sa Parole, il est le premier moteur de la création toute entière :
Formant un grand rectangle blanc que ne vient interrompre aucun élément, la nappe traverse la représentation créant une distance mais aussi un lien avec notre propre espace. Elle vient comme en surplomb, en avant de l'espace fermé et limité de la salle au plafond à caisson. Mais nous sommes au dessus d’elle, elle sort du cadre de l'histoire et, s'avançant hors du mur, vient dans notre espace de vie.
La copie la meilleure est celle de L'abbaye de Tongerlo (Belgique) une Huile sur toile, 794 × 418 cm, vers 1540. Elle permet de mieux « voir »
LES PERSONNAGES
Le groupe des hommes serrés entre deux horizontales, celle de la nappe et celle de l'alignement des têtes, est animé d'une agitation sinueuse
Les personnages ont été identifiés par Léonard lui même dans ses croquis comme suit
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JESUS
Isolé, silencieux et stable, il évoque une image de piété orientale.Revêtu de sa tunique rouge sang, le Christ est pieds nus dans des sandales comme les apôtres. Il ne prononce pas les paroles sur le pain et le vin qui sont sur la table mais annonce la trahison.
LES APOTRES
Alors que l'onde de choc, provoquée par les paroles du Christ, gagne progressivement les convives, les attitudes et les gestes traduisent la propagation de ses effets, mais aussi leur retour car tous se tournent vers le Christ pour savoir qui le trahit.
Pierre et Jean Un de ses disciples, celui que Jésus aimait, se trouvait à table tout contre Jésus. Simon-Pierre lui fait signe et dit : " Demande quel est celui dont il parle. "
Judas surtout été clairement caractérisé car il n’est pas mis à part Il est identifié par plusieurs motifs tels que son geste pour le pain , le sac contenant la récompense de sa trahison et le plus frappant par une salière renversée, un signe de malheur .
Jean, le disciple préféré, porte des vêtements rouges et bleues comme Jésus , est assis à sa droite , la place la plus honorable, il n’est pas couché comme sur de nombreuses autres représentations. Sa figure juvénile est efféminé, convention traditionnelle qui a donné lieu pour ce tableau à toutes les interprétations les plus imaginaires. Le couteau de Pierre fait allusion à l’ arrestation de Jésus , pendant laquelle il coupera l’oreille du grand Prêtre
Jacques le Mineur pose sa main sur le dos de Pierre, tandis qu’ André tient les mains siennes devant lui en signe de dénégation.
Thomas, Jacques le majeur, Philippe
Thomas pointe interrogativement son doigt, allusion à celui qu’il mettra dans le côté du Christ ressuscité. … Jacques le Majeur fait de ses bras étendus un geste prémonitoire de la Passion de son Seigneur
Soulignons le tour de force de Léonard qui traduit par les mouvements des corps, les mouvements de l'âme des protagonistes de la Cène
L'admiration pour cette œuvre fut unanime et immédiate, relayée par les copies et les gravures qui se diffusèrent sur toute l'Europe, elle inspira peintres puis… de nombreux annonceurs publicitaires.
Autour de Léonard
Andrea del Sarto 1486 1531
La Dernière Cène à San Salvi, près de Florence. 1527
La leçon de Leonard est entendue mais le calme l'emporte
La Cène, huile sur panneau, 1531, 75 x 82 cm
Musées Royaux des Beaux-Arts, Brussels
Pieter Coecke van Aelst , 1502 -1550 à Bruxelles, est un peintre et architecte-scénographe flamand, il réalise une commande du Maître de la Guilde de st Luc d’Anvers, une œuvre catholique mais comme il est luthérien il va transformer l’œuvre en remplaçant les apôtres par des héros de la réforme. Les personnages sont reconnaissables par quelques détails codés et qui n’ont été découverts que récemment par Danièle Séraphin and Jacques Lauprêtre. ( Le Testament des Ombres 6, ed Hermann). On connaît 22 exemplaires de cette fameuse Cène dont celle de Bruxelles n’est pas la plus ancienne
Tous s’agitent sauf le Christ et le personnage de Gauche, qui est martin Luther, dont la pose est inspirée de la Mélancolie de Dürer. Le Christ est serein au centre, sous la croix de la fenêtre, sommet d’un triangle formé par la corbeille de pain et le vase contenant le vin. Il est entouré par Jean à sa gauche et le prophète Jonas à sa droite.
A gauche on « reconnaît » Luther, Melanchthon, Frédéric le sage, Jean Baptiste, Augustin, le prophète Jonas, et sur le côté gauche Paul de Tarse qui vient comme serviteur ils sont tous là pour encourager Luther, pris par la Mélancolie, pour qu’il ne désespère pas, la lumière vient de son côté et les « pères » sont là pour le soutenir
A droite on trouve Zwingli , en position de Judas, Eck en rouge avec Oecolampade, et Carlstadt avec Thomas de Vis dit Cajetan et d’autres. Ces réformateurs s’opposent à la doctrine luthérienne de la présence réelle du Christ dans le pain et le vin, pour n’y voir qu’un symbole. Le tableau est réalisé juste avant le colloque de Marburg 1529 qui va essayer de mettre de l’ordre dans la théologie protestante concernant la cène.
La sérénité de Jésus peut être interprétée comme l’idée que la réconciliation que l’unité peut se faire en partageant le même repas , car il unit les hommes malgré leurs contradictions.
Quelques œuvres récentes en relation directe avec la Cène de Léonard
Last Supper, de Raoef Mamedov, 1998, ensemble de photos avec des enfants handicapés
Ainsi peut résonner la préférence du Christ pour les enfants (entendons : ceux qui n’ont pas un statut reconnu) et les plus faibles.
"The Last Supper" de Zeng Fanzhi (2001)
est connu pour avoir fait l’objet d’une vente aux enchères dépassant toutes les cotes pour un artiste chinois. Mais
son tableau très imposant par lui-même doit être replacé dans l’œuvre et la vie de l’artiste pour en comprendre les codes : les masques renvoient au fait que les personnes de la rue n’affichaient aucune expression particulière et cachaient toute opinion dans ce pays totalitaire ; les foulards rouges des personnages font référence à son enfance où il ne fut pas admis parmi la jeunesse du parti, du fait de l’accusation portée contre son père d’être contre-révolutionnaire ; les pastèques sont les fruits des pauvres. Judas est représenté en cravate dorée signe du pouvoir de l’argent .
La Cène, Ben Willikens, , 1976-1979, acrylique sur toile, 300 X 200 cm (chaque panneau), Francfort-sur-le-Main, musée allemand de l’Architecture TDR.
rédacteur en chef de la revue Kunst und Kirche, il détaille la Cène de Ben Willikens, vide et froide, pour constater que, là également, « une lumière transcendante » est mise en valeur
Ben Willikens n’a conservé que la perspective. Du fait de ces suppressions et de la rigoureuse symétrie du tableau, la perspective devient une sorte de gouffre qui attire l'observateur à lui. Horst Schwebel est professeur de théologie pratique à l’Université de Marbourg/Lahn, l’interprète comme
- Expression d’une ère postchrétienne, où le christianisme a disparu en tant que référence culturelle ?
- Avec une pièce harmonieuse de proportion mais glaciale, des portes de fer dans les alcôves, une société technicienne qui a évacué toute croyance ? Une société sans mémoire ?
- « Une irruption de l’infini dans le fini » ? Les trois ouvertures du fond renvoyant à un espace trinitaire et à l’éternité de Dieu ? Avec ce blanc éblouissant, on serait alors dans la métaphore des textes bibliques.
- et cette absence, serait-ce une allusion au tombeau vide ?
LA REPRESENTATION DE LA CENE RENVOIE AU CULTE
Quatre représentations de la cène très marquée religieusement
Joos van Wassenhohe 1475
Jésus donne la communion pendant la messe
Durer, gravure de 1523
La sainte cène protestante, Judas étant absent toute tension est supprimée. L’accent est mis sur le partage de la coupe, communion sous les 2 espèces, le pain distribué à tous (corbeille) et le Christ donne son nouveau commandement , « vous aimer les uns les autres, comme je vous ai aimés , aimez-vous les uns les autres . A ceci tous connaîtront que vous êtes mes disciples " ( Jean 13:34
Hans Holbein 1525
Huile sur bois . 115,5 x 97,3
Bâle, Kunstmuseum
Holbein a une sensibilité érasmienne
Rubens , 1632 pinacothèque de Brera, Milan
Mise en scène du moment de la consécration catholique, comme le recommande le concile de Trente, seul Judas refuse de reconnaître mais il se tourne vers le spectateur pour l’interroger sur sa croyance
Sieger Koder prêtre catholique allemand né en 1925
La reconnaissance et la présence partagée