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  • L'ARCHE DE NOE

    Le mythe du Déluge et celui de Noé ont donné une masse de commentaires et d’images  dont nous retenons quelques unes pour leur sens théologique. Mieux vaut d’abord lire le texte, qui est long, répétitif et pas toujours explicite mais indispensable     Genèse ch. 6 à 9

     

    1  Les beatus, une image du salut

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    On appelle Beatus les manuscrits espagnols des Xe siècle et XIe siècle,   où le moine Beatus de Liébana a commenté l'Apocalypse et le texte du déluge.

    Le Beatus de Gerone

    L’image est coupée en 2 : le monde de la mort et celui de la vie.
    En bas la mort où les cadavres flottent ou chutent comme lors d’un  Jugement dernier. Mais l’image se lit de gauche à droite, du corbeau qui mange un cadavre, à l’olivier qui sort de l’eau et permet à la colombe d’apporter son message d’espoir. L’opposition entre corbeau et colombe est donc renforcée et propre à la Bible, car dans l’épopée babylonienne de Gilgamesh qui a fortement servie de modèle au récit biblique, c’est le corbeau qui apporte le bon message.
    En haut , l’arche sorte de boite maison avec ses étages et ses cases. Couleurs et lignes opposent les 2 parties, sur la mort flotte l’arche de vie, celle du salut

    Comparaisons entre les arches des beatus de Gerone et d’Urgell

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     Les humains , il devraient être 8 (Noé ses 3 fils et leurs femmes) mais Gerone n’en montre que 7, car c’est le nombre de la perfection , nombre répété de nombreuses fois dans le texte biblique. Quand les 8 sont représentés comme à Urgell, Noé  se dresse comme un Christ ressuscité, car il est le 8ème, sorti du tombeau le 8ème jour (lendemain du sabbat). Plus prosaïquement on voit les femmes voilées, séparées des hommes.

     

     Les étages  devraient être au nombre de 3 mais ils sont ici toujours plus nombreux, les animaux choisis renvoient à un bestiaire en partie symbolique qui provient d’un texte égyptien du 2d siècle, le Physiologos.

             En bas les gros animaux terrestres : le dromadaire est partout présent, l’éléphant souvent, il est vu comme un symbole de chasteté et de fidélité. Mais Gérone met sur le même niveau, un taureau

     Le second étage rassemble des animaux sauvages redoutables à l’homme, ce qui ne veut pas dire négatifs, ainsi le lion, et surtout la panthère, animal christique (après la chasse, elle reste 3 jours dans sa tanière, puis sort exhalant une bonne odeur), l’ours porte un collier… donc des animaux dangereux mais que l’homme peut dominer.

    Le 3ème étage de Gérone porte un couple de singes, des antilopes, tandis qu’Urgell montre des animaux de basse cour, que Gérone met à part

     

    Une nouvelle création mais aussi un nouvel ordre animal car désormais l’homme sera carnivore

     

    2 De la boite au bateau

     

     

    Saint-Savin sur Gartempe, Abbaye St-Savin et St-Cyprien, Peinture de la voute, L'arche de Noe.jpg

     

    A St Savin sur Gartempe, l’arche de Noé  se trouve au milieu des fresques du XI ème s. qui occupent toute la voute romane.

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     On retrouve l’image du salut , qui flotte au dessus des eaux du déluge, l’arche avec les animaux et les hommes, cette fois bien séparés en couples, l’étage intermédiaire, peu visible,  est celui des oiseaux.

     

    Mais que font ces 2 hommes accrochés au flan de l’arche ? Ce sont peut être des géants, des « fils de dieux » ceux dont le texte parle en 6, 1-4. Ce sont peut être des héros de légendes postérieures, les ancêtres de Pantagruel selon Rabelais, des rois qui veulent échapper au déluge et deviennent les serviteurs de Noé selon un texte du Midrash (commentaire juif du Pentateuque).

    Certains y ont vu des anges, mais ceux représentés sur cette enluminure anglaise sont bien différents, ils protègent l’arche, alors que les personnages de St Savin s’y agrippent. A noter sur cette image, la présence de Dieu, sous les trits du Christ, qui ferme la porte comme le dit le texte en 6, 16

     

              

    La principale nouveauté est le bateau ?

      Le mot hebreu est «  tebah » boite, qui vient de « teb » coffre sarcophage, mais désigne aussi la corbeille de Moïse ,

    En grec la traduction de la Septante utilise  « kibotos »  caisse, coffre à linge  

    En latin la Vulgate de Jérôme prend « arca » coffre de la racine « arcere » contenir, idée de protéger, elle utilise le même mot pour l’arche Noé, l’Arche d’alliance et le tombeau du Christ, toujours un écrin de la vie.

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     Mais dans le livre de la Sagesse écrit en grec au 1er s. l’histoire de Noé qui est à nouveau racontée, utilise un autre mot « Xedia »  radeau, et ceci est peut être à mettre en relation avec le fait que ce soit en Egypte au Vème s. qu’apparaisse la première image d’une arche de Noé qui soit un bateau. Cependant les représentations sous forme de boite continuent des catacombes, à St Marc de Venise en passant on l’a vu par les Beatus espagnols.

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    A l’autre bout du monde on trouve des croix irlandaises du Xème s. avec un bateau et à St Savin, c’est bien d’un drakkar qu’il s’agit avec son montage à clin et sa proue monstrueuse (gentille ici puisqu’elle fait de l’œil à l’oiseau). Les artistes romans savent que le drakkar est le meilleur bateau du monde.

    Désormais l’arche sera toujours vue comme un bateau, plus ou moins ventru et plus ou moins surmonté d’une maison .

     

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     Memberger, Kaspar the Elder 1588, Oil on canvas, 124 x 163 cm Residenzgalerie, Salzburg

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     Hicks, Edward ,  1846, oil on canvas, Philadelphia Museum of Art.  

      

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    György LEHOCZKY 1901-1979 peintre hongrois réfugié en Allemagne

     

    Les 2 premiers représentent l’embarquement, en insistant sur la paix entre les animaux qui devraient se manger entre eux, image paradisiaque , qui ne correspond pas du tout à ce que sera l’après Déluge puisque Dieu y admet la violence de l’homme sur les animaux et entre les animaux. Ch. 9.

    Le peintre allemand représente une joyeuse cohue, alors que Hicks, quaker américain, met beaucoup d’ordre et de solennité dans ce défilé dont les hommes sont quasi absents (juste une silhouette à gauche) . Lehoczky reprend l’image du vaisseau porteur du salut, mais casse les couples , par contre il retrouve les anges présents sur l’image anglaise !

      

    3 Les peintres modernes préfèrent le déluge à l’arche, goût de la violence ? mais violence de qui ?  

     

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    Hans Baldung (1484-1545) peintre élève de Dürer, iI passera la majeure partie de sa vie à Strasbourg.

    Le Déluge est peint vers 1516, ses dimensions sont de 81 x 64 cm, il s'agit d'une peinture à l'huile sur bois qui se trouve actuellement à l'Historisch Museum des Stadt, Neue Residenz Bamberg en Allemagne

     

    LA VIOLENCE est partout   

    Dans le ciel , masse nuageuse,  compacte, sombre, répulsive...

    Dans l’eau où les personnages, hommes, femmes, enfants… bien que dans des situations dramatiques, provoquent plus le dégoût que la pitié ou la sympathie , ils s’agitent , se battent,  les couleurs dans des tonalités fades et froides…  l'impression de grouillement  l’emporte sur toute compassion. Chacun des personnages est seul, nu, et réduit à l'impuissance, usant de moyens de salut dérisoires et personnels.

     

    L’arche est au centre, solide malgré les vagues,  rouge sur l’ensemble froid. On retrouve le coffre, la boîte précieuse bien cadenassée, mais ce pourrait être une maison (et dans ce cas les hommes du bas renvoient aux géants évoqués dans le texte). On ne voit rien de l’intérieur, ni Noé, ni les animaux, ils sont mis à part, ils sont devenus un «trésor » (coffre cadenassé) dont Dieu aurait la clé, et la lumière divine éclair, choisit ce petit reste choisi,  hommes et animaux de demain.

    L’abandon de l’arche-bateau permet de renouer avec les différents sens du mot arche : celle de Noé, celle de Moïse, celle de l’Alliance qui était dans le Temple de Jérusalem… ce signe de l’alliance éternelle entre Dieu et les hommes qu’il sauve des tempêtes, du mal, et qui sera dévoilée à l’Apocalypse.  Comme la peinture date de 1516, on comprend mieux la peinture par le contexte : attente de la fin des temps, scandales et crises de l’Eglise avec les débuts de la Réforme dont le peintre est partie prenante

     

     La violence est humaine et Dieu sauve par l’Alliance hier et aujourd’hui

     

     Changement complet avec ce tableau de Nicolas Poussin (1594-1665).  

    L'Hiver ou  Le Déluge est l’une de ses dernières œuvres, huile sur toile 1,60 m x 1,18 m,   collection du Louvre

      

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    IMPRESSION DE CALME PLUS QUE DE VIOLENCE

    Le tableau se lit par de larges plans successifs :  un plan d’eau encadré de rochers, ce premier plan est celui où les personnages évoluent, c’est l’espace narratif.  Ensuite un espace marin, avec dans la brume un gros bateau, trapu, sans mat ni voile, l’arche. L’horizon est occupé par une montagne qui ressemble à un volcan  Le ciel est chargé de lourds nuages sombres et déchiré par un éclair .

     La composition du paysage est structurée par les horizontales. Ces horizontales donnent de la stabilité et créent un sentiment de calme. Quelques obliques ouvrent le paysage en profondeur comme pour un décor de théâtre. Mais deux verticales, soulignent deux équilibres temporaires, celui de la barque centrale redressée par le courant, et celui de la chaîne de vie de la famille à droite.

    Les masses colorées chaudes dominent nettement et  donnent  un caractère positif à un paysage qui par ailleurs est désolé.

    Cette analyse nous oriente vers une vision calme et positive de la scène. Le spectateur voit une  situation  grave mais pleine d’espoir. Une barque se dresse et va se renverser, mais un homme qui est tombé nage déjà fermement pour se sauver et le rivage n’est pas loin. Un homme échappe au flot grâce à son cheval qui nage, et une femme s’appuie sur une planche qui flotte. La barque de droite est solide et est un havre pour l’homme qui y grimpe. Cette barque permet à une famille de rejoindre la terre ferme, l’homme attrape son enfant que la mère lui tend. Ainsi tous semblent trouver un moyen de se sauver. De l’inondation.

    Mais ce que le spectateur voit,  contredit ce qu’il sait par ailleurs.  Le titre renvoie au Déluge, l'eau engloutira le monde,  et se terminera par la mort de tous les hommes et de tous les animaux sauf ceux qui sont sauvés par l’arche de Noé. Or justement, c’est cette arche que l’on voit s’éloigner à gauche, elle est déjà en route, donc tous ceux qui seront sauvés sont à son bord, et tous ceux que nous voyons sont voués à une mort certaine.

     C’est donc une mise en scène subjective, qui permet de susciter une émotion particulière chez le spectateur, la compassion pour les victimes, ce qui est bien contraire à l’esprit du texte, pour qui le déluge s’explique parce que « la terre était pleine de violence  …  tous s’étaient pervertis sur la terre » Gn 6, 11-12

     La vision de l’homme présentée par ce tableau est positive, aucune violence aucune perversion n’apparaît. Les hommes se sauvent sans faire tort à leurs semblables, ils s’entraident et quand la situation semble grave, l’homme de la barque qui avance sous la chute, prie et demande secours à Dieu.

     La violence vient de Dieu, le maître de la création,  est présent  dans la nature, c’est lui fait pleuvoir, c’est lui qui foudroie. On peut en effet supposer que l’éclair qui se dirige vers le fond, foudroie une ville, et que les personnages visibles sont un petit reste, les derniers survivants, pour quelques jours seulement.

     La colère de Dieu envers les hommes semble donc injuste et le choix de sauver Noé et les siens, purement gratuite.

     Mais Poussin représente sur le rocher gauche, un grand serpent qui monte pour fuir les eaux, lui aussi. Le serpent de Gn 3  le  mal et le péché, sont donc bien présents, ils sont cachés mais le cœur de l’homme est perverti et ses bonnes actions ne peuvent le sauver.

     

    Le serpent, l’idée du péché originel viennent-ils donner l’explication, la justification ?
    La prière est elle la seule voie ? Est ce pour cela que l’homme qui implore est placé au centre, qu’il reçoit pleinement la lumière ?  

    La partie gauche est orientée de façon descendante par l’oblique du rocher qui aboutit à la barque qui chavire. C’est la chute au sens propre, et au sens religieux avec le serpent. Mais cette chute se transforme soudainement en ascension, la barque se redresse permettant à l’homme de se dresser vers Dieu, de l’implorer et de se sauver spirituellement.

     Ainsi les deux verticales expriment bien le rapport des hommes à Dieu. Celle de l’homme tendu vers Dieu pour l’implorer et que son compagnon soutient, et celle de la mère tendant son enfant à son époux pour le sauver. Deux visions de la vie humaine face au malheur ? Deux voies de salut ?

    Ou simplement double mouvement qui correspond aux deux moments, aux deux situations des hommes et des barques, quand la barque vogue, il faut vivre et s’entraider, quand la barque chavire, il faut implorer. Succession plutôt qu’opposition.

     Et l’arc en ciel ? l’arc de l’alliance ? il est peu représenté mais Marc Chagall lui donne toute son importance à travers toute l’histoire du Peuple de Dieu

     

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