Le récit concernant Bethsabée et David se trouve au 2d livre de Samuel ch. 11 et 12, vous pouvez y accéder
http://www.info-bible.org/lsg/10.2Samuel.html#11
Que représenter ? une histoire biblique ou une situation morale, celle du désir ?
Je suis ici l’exposé "Désir du danger" ou "danger du désir"? par Alain COMBES http://www.flte.fr/pdf/pdf245.pdf?PHPSESSID=a62d5a5cc3c9cdf3d24c324f17e1e747
Dans le récit biblique, quelle est la part de responsabilité de Bethsabée dans le désir de David ? Derrière cette question anecdotique, il y a la question récurrente, encore actuelle, de la séduction, de la culpabilité de l'objet du désir.
Le "désir du danger", c'est quand on provoque le désir de l'autre, tout en sachant les conséquences de cette attitude. Le "danger du désir" c'est quand on laisse le désir grandir en soi et ainsi, on prend le risque de succomber.
Le XVIe siècle a débattu ce sujet. En voici un témoignage dans trois illustrations bibliques du monde luthérien.
La première image publiée dans la Bible éditée par Hans Lufft en 1534, a été dessinée dans l'atelier de Cranach selon les indications de Luther
Une Jérusalem de légende, Bethsabée, de dos, est occupée à sa toilette avec deux servantes. On ne voit rien de sa nudité, à peine l'ombre de son mollet. Aucun des trois personnages ne s'aperçoit que le roi se trouve sur la terrasse et la regarde.
Bethsabée est ici, totalement innocente du désir de David.
la présence des cygnes sur l'eau. Deux d'entre eux, en vis à vis, disent peut être la suite de l'histoire : le face à face intime entre Bethsabée et le roi.
Dans cette image, Bethsabée semble donc victime de la séduction royale.
La deuxième image
Elle a été dessinée par Virgil Solis et apparaît quelques années après la première dans l'illustration de « Figures de la Bible »
Bethsabée est peut-être encore ici une femme "pure". Pourtant nous pouvons observer quelques variantes :
La jambe de Bethsabée est nettement plus haut levée et une servante regarde le roi installé sur le balcon. On est donc conscient de la présence d'un témoin.
Sur le côté, une table est dressée avec une collation. Le bain n'est plus rituel mais s'inscrit dans un moment de détente champêtre.
Sur la table on peut voir un double signe représentant un "9" et un "6". Il rappelle les commandements : le 9e la défense de la convoitise, le 6e la défense de l'adultère.
la prude Bethsabée ne semble pas vraiment séductrice, on trouve néanmoins, sur "sa" berge, dans son univers, la marque des deux commandements qui vont être transgressés.
La troisième image
La troisième image est l'œuvre du dessinateur zurichois Jost Amman et apparaît en 1564
Bethsabée ne semble vraiment pas accomplir un rite religieux en prenant un bain rituel. Les jambes, découvertes et haut levées ne doivent pas cacher grand chose de son intimité au regard de David, tout là-haut sur la terrasse. L'eau coule dans le bassin par la gueule d'une fontaine en forme de dragon.
Bethsabée se regarde dans un miroir en se caressant le visage, de toute évidence, elle se préoccupe de sa beauté et sa posture est plus celle d'une courtisane que de la chaste épouse de l'officier Urie.
Le réformateur Konrad Sam, en 1534 dira : «les femmes sont toujours Eve, elles séduisent les hommes et tiennent toujours la pomme dans la main.» Effectivement, on voit bien ici le rôle que l'on prête à cette femme : celle de "la femme", tentatrice depuis le jardin d'Eden.
On est donc passé d'une simple illustration de l'épisode biblique centrée sur l'abus de pouvoir d'un roi, à la leçon de morale qui dédouane un peu l'homme de sa convoitise, fragile comme il est devant la séduction active de la femme.
Mais ces éclairages ne rendent pas compte de l'autre aspect de l'histoire : le crime abominable de David qui fait tuer le mari de Bethsabée. Ce point n'est pas mineur !
Finalement, placer l'éclairage sur le péché de meurtre ou celui d'adultère, n'est pas innocent au XVIe siècle. Les regards sont orientés soit sur la politique et les abus de pouvoir qui caractérisent cette période, soit sur la vie quotidienne des fidèles et le souci pastoral de morale sexuelle.
Deux peintures de RUBENS et REMBRANDT
RUBENS, Pieter Pauwel, Bathsheba at the Fountain,c. 1635, Oil on oak panel, 175 x 126 cm, Gemäldegalerie, Dresden
REMBRANDT Harmenszoon van Rijn, Bathsheba at Her Bath,1654
Oil on canvas, 142 x 142 cm
Musée du Louvre, Paris
La lettre envoyée et reçue n’est pas dans le texte, « David envoya des émissaires et la fit chercher » (II Samuel, 11, 4), la lettre est une invention de la renaissance
Comparons les 2 œuvres
| Rubens | Rembrandt |
Composition | Horizon 1/3 supérieur Construction sur diagonale Lignes ascendantes vers droite
Espace ouvert
| Horizon 1/3 supérieur Construction sur diagonale Lignes ascendantes ou descendantes vers gauche Espace clos
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Couleurs | Gamme chaude + rouge passion bleu du messager | Gamme chaude mais rien de vif |
Lumière et regard | Lumière de droite Elle regarde vers gauche = passé mais son corps est tourné vers droite= avenir, ce qui suit la construction en diagonale | Lumière de gauche Elle regarde vers gauche et le bas = passé, ce qui inverse la construction en diagonale |
DAVID ET BETHSABEEL’histoire de Bethsabée est un moment important du Second Livre de Samuel aux chapitres 11 et 12.
Permanence de la représentation
Dans un manuscrit syriaque du 9e s. les Sacra Parallela, Bethsabée est déjà figurée entièrement nue assise sur un banc à côté d’un bassin extérieur, accompagnée d’une servante. En arrière-plan, le roi David l’épie de la terrasse de son palais située en hauteur. Ce modèle de composition se retrouve encore en 1970 chez Picasso qui y ajoute le prophète Nathan, celui qui accuse David d’adultère.
AU MOYEN AGE DANS LES LIVRES D’HEURES Les Livres d’Heures sont des livres de prières qui sont faits pour des personnes laïques, hommes et femmes, pourquoi y voit on souvent des images de Bethsabée au bain ? Le sujet du bain de Bethsabée revêt alors, dans certaines enluminures, une valeur éducative. « Le sujet essentiel reste alors la faute de David, et non la nudité de Bethsabée. Le regard porté par David sur le corps de Bethsabée est traité ici en exemple d’action blâmable dont l’évocation est empreinte d’une forte connotation morale »
Les peintres médiévaux vont donc se plaire à figurer un roi galant qui tente de séduire la jeune femme par sa poésie et sa musique. Le Livre d’heures à l’usage de Rome réalisé vers 1485 pour Philippe de Commynes, présente ainsi un roi David marchant sur le rivage, à côté d’une Bethsabée qu’il charme avec son instrument. La mise en scène souligne le côté sensible et troublé du roi poète
Ce désir amoureux qu’évoque la harpe est aussi quelquefois personnifié dans les peintures sous les traits d’un cupidon. , Exécutée dans les années 1500, l’œuvre dépeint la jeune femme, le bas du corps immergé dans un somptueux bassin hexagonal plaqué de marbre et orné de macarons de têtes de lions. À sa droite, juché sur un piédestal, Cupidon, les yeux fermés, décoche une flèche dans sa direction. L’insertion de cette figure mythologique dans l’épisode biblique manifeste la rencontre entre la culture humaniste naissante et la tradition chrétienne ; elle souligne à sa façon le passage, dans les arts picturaux, du sacré au profane
La tradition d’une dame accompagnant la jeune femme au moment de son bain est très ancienne. Il s’agit encore d’une invention qui s’implante très tôt dans les représentations de l’épisode biblique et qui devient, au fil des siècles, une composante de sa mise en scène. La peinture issue du Livre d’heures à l’usage de Rome exécuté au XVIe siècle et conservé à la Bibliothèqueaméricaine d’Huntington, présente chacune des suivantes de Bethsabée munie d’un attribut symbolique : des fruits rouges (des grenades, un fruit lié au désir et à la fécondité), un miroir (symbole de vanité et de connaissance), un graal (une coupe renvoyant aussi bien à la Passion du Christ, qu’à un rituel de toilette pouvant contenir des onguents précieux et des parfums) et, enfin, la lettre que le roi David destine à sa bien-aimée. Les servantes permettent ainsi aux peintres qui nous intéressent de combiner, d’une manière gracieuse, les références à des rituels intimes, mais aussi à une symbolique du désir et du péché.
Le bain rituel et la séduction
Une phrase de la Bible nous informe sur les raisons du bain de Bethsabée : « Et il coucha avec elle, alors qu’elle venait de se purifier de ses règles ». Le narrateur fait ainsi référence à une coutume imposée aux femmes juives (Lévitique 15 : 19-23 Ainsi le bain pris par Bethsabée est justifié par la tradition juive. La jeune femme n’est plus niddah, c’est-à-dire qu’elle vient de terminer sa période de menstruation, pendant laquelle elle n’a pas le droit d’avoir des relations sexuelles. Le bain réglementaire désigné par le terme de tebila, lui permet de quitter symboliquement cette phase d’impureté. De plus, la purification rituelle a pour fonction de préparer la femme à l’accomplissement du devoir conjugal… Bethsabée est figurée comme une jeune femme qui s’offre délibérément au regard de David alors qu’elle se sait féconde. . Ainsi, parmi les peintures illustrant le bain de Bethsabée qui mettent l’accent sur la convoitise de David et sur l’adultère, nombreuses sont celles qui atténuent sa culpabilité en présentant la jeune femme avec les atours d’une séductrice avisée Bethsabée ne serait plus une innocente victime des décisions royales, mais deviendrait la véritable héroïne de l’épisode, jouant de ses atouts pour réaliser ses ambitieux projets.
Suzanne et Bethsabée
Il est intéressant de la rapprocher de celle de Suzanne au bain (Daniel, chapitre 13). Même si chacune des histoires tend à développer une morale propre avec des interprétations particulières, il existe des rapprochements entre ces deux représentations et il n’est pas exclu de penser que les peintres ont pris comme exemple le lieu du bain de Suzanne, son jardin, pour imaginer celui de Bethsabée à propos duquel si peu d’éléments étaient fournis.
D'après Elsa Guyot Étude Iconographique de l’épisode biblique “Bethsabée au bain”dans les livres d’heures des XVe et XVIe siècles Reti Medievali Rivista, 14, 1 (2013) <http://rivista.retimedievali.it> Et si on regardait David découvrant Bethsabée , à droite une miniature du XVe et à gauche deux peintres du XIXe
Tissot et Huguet 1881
BETHSABEE ET LA LETTRE DE DAVID Massys , un messager sans lettre
La lettre, motif imaginé et ajouté par les peintres, il s’impose à partir du début du XVIe siècle et devient un accessoire indispensable à la représentation du thème. Le texte biblique signalant simplement que David, ayant envoyé des gens, fit venir Bethsabée, le recours à la lettre devient alors une invention plausible qui révèle cependant que les peintres traitent le texte source comme un canevas sur lequel ils se permettent de broder L’enluminure issue du Livre d’heures à l’usage de Rome, illustrant le moment précis où Bethsabée reçoit la missive du roi se caractérise par une dramatisation prononcée dans la mise en scène et les gestes des personnages. La jeune femme ne semble nullement troublée par l’intrusion d’un homme dans ce moment d’intimité. Se tenant debout et droite, la main posée sur la hanche, elle affiche beaucoup d’assurance. Il est intéressant de souligner que la littérature contemporaine décrit le personnage de Bethsabée selon un stéréotype social qui convient à la sensibilité médiévale
Le thème de la lettre est toutefois mentionné dans le Livre deuxième de Samuel au sein du chapitre concernant David et Bethsabée avec la missive militaire que le roi remet à Urie et qui condamne à mort ce dernier. La référence à un personnage porteur d’un message, énoncée dans la Bible, est conservée et fait alors l’objet d’une transformation. Ce procédé de substitution semble ainsi avoir pour fonction d’atténuer le péché de David. Mais le motif pourrait indiquer une autre forme de déplacement, beaucoup plus significatif, dans l’interprétation de la scène. La lettre suggère en effet la possibilité, pour la jeune israélite, d’exercer une forme de libre arbitre. Selon ce scénario, Bethsabée est en effet appelée à jouer un rôle plus actif dans l’aventure romanesque. La jeune femme n’est plus la victime impuissante du désir d’un roi…
Le thème est tellement utilisé que le public du XVIIe siècle comprend au premier regard et sans ambiguïté le sujet dont il est question. C’est le cas pour la célèbre Bethsabée de Willem Drost (v.1630-v.1680) maître hollandais, élève de Rembrandt
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